3

La Déesse Pandora

Jadis nous avions les mots.

Bœuf et faucon. Sillons.

Il y avait la clarté.

Sauvages comme des cornes

recourbées,

nous vivions dans des chambres de pierre.

Nous laissions nos cheveux pendre aux fenêtres

pour que les hommes y grimpent.

Les boucles, un jardin derrière les oreilles.

Sur chaque colline, le roi

de la colline. La nuit, nous défaisions

les tapisseries. Les hommes démasqués criaient.

Les astres perçaient la nuit et nous avions les mots.

Stan Rice, 1983

La créature qui avançait le long de l’abrupt sentier enneigé – si vite que nul humain n’aurait pu la suivre – était grande, enveloppée dans un vêtement noir qui ne laissait voir que ses yeux.

La nuit illuminée d’une myriade de minuscules étoiles était presque claire, dans l’air raréfié des hauteurs de l’Himalaya, et loin devant – à quelle distance, elle ne pouvait le dire – se découpaient les flancs plissés de l’Everest, au-dessus d’une couronne de turbulents nuages blancs. Chaque fois qu’elle posait les yeux sur ce paysage, elle en avait le souffle coupé ; pas seulement à cause de sa beauté, mais aussi parce qu’il semblait le dépositaire de tant de secrets bien qu’il n’en possédât aucun.

Vénérer cette montagne ? Oui, on le pouvait impunément, car elle resterait à jamais silencieuse. Ce vent qui sifflait et la glaçait ne parlait de rien ni au nom de personne. Et cette magnificence fortuite et indifférente lui donnait envie de pleurer.

Comme la vue de ces pèlerins loin en contrebas qui, telle une colonne de fourmis, escaladaient l’étroit sentier escarpé et tortueux. Leur foi aveugle la remplissait de tristesse. Et pourtant, c’était vers le même temple, caché dans cette montagne, qu’elle se dirigeait, vers le même dieu abject et illusoire.

Le froid la mordait cruellement. Le givre avait recouvert son visage, ses paupières, et accroché des cristaux à ses cils. Et chaque pas dans cette tourmente était une épreuve, même pour elle. La douleur ou la mort ne pouvaient pas l’atteindre, elle était trop vieille pour cela. C’est de son esprit que venait sa souffrance. De la résistance fantastique des éléments, de l’immensité immaculée et éblouissante de ces neiges infinies.

Qu’importait. Un frisson d’angoisse l’avait parcourue plusieurs nuits auparavant, dans les rues grouillantes et nauséabondes de New Delhi, et depuis, pas une heure ne s’était écoulée sans que cette sensation ne se répète, comme si la terre avait commencé à trembler en son centre.

Par moments, elle était sûre que le Père et la Mère renaissaient à la vie. Quelque part, très loin, dans une crypte où son bien-aimé Marius les avait placés, Ceux Qu’il Faut Garder s’étaient enfin éveillés. Seule cette résurrection était capable de déclencher un signal de cette nature, à la fois aussi puissant et vague : après six mille années d’une terrifiante immobilité, Akasha et Enkil s’étaient levés du trône qu’ils partageaient.

Mais tout ceci n’était qu’imagination, sans doute. Autant demander à la montagne de parler. Car les ancêtres de tous les buveurs de sang n’étaient pas une légende pour elle. Contrairement à bon nombre de leurs descendants, elle les avait vus de ses propres yeux. C’est à la porte de leur mausolée qu’elle avait été faite immortelle. Elle s’était avancée à genoux et avait touché la Mère ; elle avait transpercé la surface lisse et brillante qui avait été jadis une peau humaine et avait reçu dans sa bouche ouverte le flot du sang sacré. A cette époque déjà, il lui avait semblé miraculeux que ce fluide vivant jaillisse du corps sans vie et que les blessures se referment d’elles-mêmes.

Mais dans ces siècles reculés où régnait la foi, elle avait partagé avec Marius la certitude que le Père et la Mère ne faisaient que dormir paisiblement et que, le temps venu, ils s’éveilleraient et parleraient, de nouveau à leurs enfants.

A la lueur des chandelles, Marius et elle leur avaient chanté des hymnes ; elle avait brûlé de l’encens, placé des fleurs devant eux ; elle avait juré de ne jamais révéler le lieu du sanctuaire de crainte que d’autres buveurs de sang ne viennent supprimer Marius et se repaître du sang originel et tout-puissant.

Mais c’était il y a longtemps, quand le monde était divisé en tribus et empires, quand les héros et les empereurs étaient couronnés dieux en un jour. En ce temps-là, elle se piquait d’idées philosophiques subtiles.

Comme la montagne, elle savait maintenant ce que signifiait l’éternité.

Danger. Encore une fois, la sensation fulgurante la traversa comme une décharge électrique. Puis en un éclair, elle aperçut un endroit vert, humide, un sol spongieux, une végétation étouffante. Mais la vision disparut presque aussitôt.

Elle s’arrêta, aveuglée un instant par l’éclat de la neige sous le clair de lune, et leva les yeux vers les étoiles qui clignotaient à travers une fine traînée de nuages floconneux. Elle essaya de capter les voix d’autres immortels. Mais aucun message ne lui parvint distinctement – seulement une pulsation sourde venue du temple vers lequel elle se dirigeait et, loin derrière elle, montant du dédale des ruelles obscures d’une ville sale et surpeuplée, la musique enregistrée, à jamais figée, de ce buveur de sang fou, « la rock star », le vampire Lestat.

Il était voué à l’échec, cet impétueux jeune coq qui avait osé composer des chansons à partir de vérités tronquées et approximatives. Elle avait tant vu de jeunes accéder au firmament de la gloire pour en retomber aussitôt.

Cependant son audace l’intriguait tout autant qu’elle la scandalisait. Se pouvait-il que le cri d’alarme qu’elle avait perçu ait quelque chose à voir avec ces chants plaintifs et rauques ?

 

Akasha, Enkil
Écoutez vos enfants

 

Comment osait-il révéler ces noms sacrés au monde des mortels ? Il semblait impensable, insensé, qu’une telle créature ne soit pas condamnée sur l’heure. Pourtant le monstre se délectait de cette invraisemblable célébrité et il divulguait des secrets qu’il n’avait pu apprendre que de la bouche de Marius. Mais où était Marius, celui qui depuis deux mille ans dissimulait, d’un sanctuaire à l’autre, Ceux Qu’il Faut Garder ? Son cœur allait se briser si elle s’autorisait à penser à lui et aux querelles qui, jadis, les avaient séparés.

La voix de Lestat s’était tue, brouillée par d’autres enregistrements, des vibrations qui parvenaient des villes et des villages, et par les gémissements toujours distincts des âmes des mortels. Comme souvent, son esprit puissant ne pouvait isoler un son en particulier. La marée déferlait – informe, terrifiante –, et elle dut se fermer aux bruits du monde. De nouveau, elle se retrouva seule avec le vent.

Ah, que devait être la clameur de la terre pour la Mère et le Père dont les pouvoirs n’avaient cessé de croître depuis la nuit des temps ? Leur était-il possible, à eux aussi, de stopper le flot des voix, ou d’y distinguer parfois celle qu’ils souhaitaient entendre ? Peut-être étaient-ils aussi passifs dans ce domaine que dans les autres. Peut-être était-ce ce vacarme ininterrompu qui les pétrifiait, qui engourdissait leur cerveau, tandis que les assaillaient sans fin les cris, mortels et immortels, de la création tout entière.

Elle regarda la haute cime dentelée devant elle. Il lui fallait continuer. Elle resserra un peu plus sa cape autour de son visage et se remit en marche.

Alors qu’elle arrivait sur un petit promontoire, elle aperçut enfin le but de son expédition. Au-delà d’un immense glacier, perché sur un versant escarpé, se dressait le temple, construction de pierres que sa blancheur rendait presque invisible, son clocher masqué par la neige qui recommençait à tomber en tourbillons.

Aussi rapide fût-elle, combien de temps lui faudrait-il pour l’atteindre ? Elle savait ce qu’il lui restait à faire, mais ne pouvait s’y résoudre. Elle devait lever les bras, défier les lois de la nature et sa propre raison, et s’élever au-dessus de l’abîme qui la séparait du temple, puis descendre doucement une fois sur l’autre versant du ravin glacé. Aucun de ses autres pouvoirs ne lui faisait éprouver un tel sentiment d’étrangeté, d’inhumanité, d’éloignement par rapport à la femme qu’elle avait jadis été.

Mais elle voulait, elle devait gagner ce temple. Alors elle déploya lentement ses bras, avec une grâce étudiée. Les yeux fermés, elle ordonna à son corps de quitter le sol, et elle le sentit qui décollait, libre de toute entrave, chevauchant le vent de par sa propre volonté.

Un long moment, elle s’abandonna au gré des courants. Son corps dérivait, tournoyait. Elle prenait de plus en plus d’altitude, traversant les nuages, les yeux fixés sur les étoiles. Comme ses vêtements lui pesaient ! N’était-elle pas sur le point de se désintégrer ? Était-ce l’étape suivante ? Une poussière dans l’œil de Dieu, songea-t-elle. Son cœur se serra. Quelle horreur, perdre ainsi toute attache... Les larmes lui montèrent aux yeux.

Et comme chaque fois en de pareils instants, son passé lointain de mortelle, auquel elle se raccrochait, lui paraissait plus que jamais un mythe à chérir, tandis que toutes les autres croyances la désertaient. J’ai vécu, j’ai aimé et ma chair était tiède. Elle revoyait Marius, son créateur, non pas tel qu’il était aujourd’hui, mais le jeune immortel d’alors, brûlant d’un secret surnaturel : « Pandora, mon adorée...» « Donne-moi l’immortalité, je t’en prie. » « Pandora, viens avec moi demander la bénédiction de la Mère et du Père. Viens dans le sanctuaire. »

Désespérée, comme exilée, elle aurait pu dans son désarroi oublier sa destination et se laisser emporter vers le soleil levant. Mais le message resurgit, silencieux, lancinant, pour lui rappeler sa mission. Danger. Elle écarta les bras, s’obligea à regarder vers la terre et vit, juste au-dessous d’elle, la cour du temple et ses bûchers.

Sa descente vertigineuse la stupéfia, la désorienta quelques secondes. Elle se retrouva dans l’enceinte du temple, le corps douloureux ; puis le froid et le calme l’envahirent à nouveau.

Les hurlements du vent lui parvenaient assourdis. La musique à l’intérieur du temple résonnait à travers les murs – pulsation hallucinante, battements de tambours et de tambourins, voix mêlées en une incantation répétitive et lugubre. Et devant elle se dressaient les bûchers crépitants sur lesquels noircissaient des cadavres. La puanteur lui donnait la nausée. Pourtant, longtemps, elle contempla les flammes qui léchaient les chairs grésillantes, les squelettes calcinés, les cheveux d’où s’échappaient soudain des volutes de fumée blanche. Elle suffoquait ; l’air pur de la montagne ne pouvait l’atteindre en ce lieu.

Elle fixa le portail de bois qui menait au sanctuaire. Une fois de plus, elle allait, à son corps défendant, mettre son pouvoir à l’épreuve. Les portes s’ouvrirent et elle pénétra au cœur du temple, étourdie par les lumières, la chaleur et les chants.

« Azim ! Azim ! Azim ! », psalmodiaient les fidèles qui se pressaient vers le centre de la salle illuminée de flambeaux, agitant en cadence leurs poignets et leur tête. « Azim ! Azim ! Azim-Azim-Azim ! Ahhhh Ziiiim ! » De la fumée s’élevait des encensoirs ; des nuées de silhouettes tourbillonnaient interminablement, marquant le sol de leurs pieds nus, mais nul ne la voyait. Leurs yeux étaient clos, leurs faces sombres impénétrables, seules leurs lèvres bougeaient, répétant à l’infini le nom vénéré.

Elle se fraya un chemin au plus épais de cette multitude d’hommes et de femmes, certains vêtus de loques, d’autres couverts de soieries éclatantes et de joyaux, tous récitant la même invocation avec une monotonie terrifiante. Elle sentit l’odeur de fièvre, de faim, celle des cadavres, écrasés par la foule dans son délire. Elle se cramponna à une colonne de marbre, comme pour s’amarrer dans ce fleuve tumultueux de mouvements et de bruits.

Enfin, elle distingua Azim au milieu de la cohue. Sa peau de bronze était moite et luisante à la lueur des torches, un turban de soie noire entourait sa tête, sa longue tunique brodée était maculée du sang mêlé des mortels et des immortels. Ses yeux noirs, cerclés de khôl, semblaient démesurés. Au rythme sourd des tambours, il dansait d’un mouvement ondoyant, lançant ses poings en avant, puis les ramenant à lui comme s’il frappait contre un mur invisible. Ses pieds chaussés de babouches battaient frénétiquement les dalles de marbre. Un filet de sang coulait au coin de sa bouche. Son expression était celle de la plus complète hébétude.

Cependant il avait conscience de sa présence. Sans interrompre ses gesticulations, il la dévisagea, et elle vit ses lèvres se retrousser en un sourire.

Pandora, ma belle et immortelle Pandora...

Il était repu, gras et congestionné comme rarement elle avait vu un immortel le devenir. Il renversa la tête en arrière, pivota sur lui-même et jeta un cri perçant. Ses servants s’avancèrent et lui tailladèrent les poignets avec leurs couteaux de cérémonies.

Les fidèles se précipitèrent, la bouche tendue pour recevoir le sang sacré qui jaillissait. La mélopée s’intensifia, couvrant les cris étouffés de ceux qui étaient le plus près de lui. Et soudain, il fut hissé dans les airs, le corps étendu sur les épaules de ses adorateurs, les babouches dorées pointées vers le haut plafond en mosaïque, les couteaux incisant ses chevilles puis ses poignets dont les blessures s’étaient déjà refermées.

La foule en délire semblait grossir et ses mouvements devenir plus frénétiques. Des corps ruisselants d’une sueur nauséabonde s’écrasaient contre elle, indifférents à la froideur et à la dureté de ses membres séculaires sous l’ample vêtement de laine douce. Elle ne bougea pas. Elle se laissa submerger par la marée humaine. Elle vit qu’on reposait Azim sur le sol, saigné, geignant, ses entailles déjà cicatrisées. Il lui fit signe de le rejoindre. Elle refusa silencieusement.

Elle l’observa tandis qu’il empoignait au hasard une jeune femme aux yeux maquillés et aux pendants d’oreilles en or, et tranchait sa gorge gracile.

La foule ne scandait plus les syllabes de son nom ; c’était maintenant un cri inarticulé qui sortait de toutes les poitrines.

Les yeux exorbités, semblant terrifié par son propre pouvoir, Azim vida sa victime de son sang en une seule et formidable aspiration, puis jeta sur les dalles le corps déchiqueté que les fidèles entourèrent, les mains tendues comme dans une supplique à leur dieu enivré et titubant.

Elle fit volte-face et sortit dans la cour intérieure, s’écartant de la chaleur des bûchers. L’odeur d’urine et de tripaille la prit à la gorge. Elle s’adossa au mur, les yeux levés, pensant à la montagne, ne prêtant nulle attention aux officiants qui passaient près d’elle, tirant les cadavres des victimes fraîchement sacrifiées pour les jeter dans les flammes.

Pandora songeait aux pèlerins qu’elle avait vus sur le sentier conduisant au temple, cette longue cohorte qui serpentait lentement nuit et jour à travers la montagne hostile en direction de ce lieu sans nom. Combien succombaient sans avoir même atteint ce précipice ? Combien mouraient devant le portail en attendant d’être admis à l’intérieur ?

Elle abominait ce culte immonde. Et en même temps, quelle importance ? L’horreur durait depuis si longtemps. Elle demeura patiemment dans la cour. Puis, Azim l’appela.

Elle pénétra de nouveau dans le temple et franchit une porte jusqu’à une petite antichambre décorée de fresques, où, sur un tapis rouge frangé de rubis, il l’attendait, silencieux, entouré de l’or et de l’argent de toutes les offrandes, la musique dans la salle, assourdie, langoureuse et inquiétante.

— Mon aimée, dit-il.

Il saisit son visage entre ses mains et l’embrassa. Un flot de sang chaud jaillit de sa bouche dans celle de Pandora, et durant un instant extatique, la visiteuse ne fit plus qu’un avec les chants et la mélopée des fidèles, leurs cris entêtants. Elle s’abandonna au torrent brûlant de l’adoration des mortels. A l’amour.

Oui, l’amour. Marius lui apparut. Elle rouvrit les yeux et recula. Elle ne distingua d’abord que les murs ornementés de paons et de lis, et les monceaux d’or. Puis elle vit Azim.

A l’image de son peuple, il ne changeait pas, comme ne changeaient pas les villages d’où venaient ses sujets à travers les étendues désertiques et enneigées pour trouver cette fin horrible et absurde. Depuis plus de mille ans, Azim régnait sur ce temple d’où aucun fidèle n’était jamais ressorti vivant. Sa peau souple et dorée nourrie d’un fleuve intarissable de sang sacrificiel n’avait que très légèrement pâli au cours des siècles, tandis que celle de Pandora avait perdu tout éclat humain en moitié moins de temps. Seuls ses yeux, et peut-être ses cheveux bruns, lui donnaient encore l’apparence de la vie. Elle était belle, elle le savait, mais lui avait quelque chose de plus : la force du mal. Idolâtré de ses fidèles, enveloppé de légende et de mythe, il régnait, sans passé ni avenir, aussi mystérieux pour elle maintenant que toujours.

Elle ne voulait pas s’attarder. L’endroit la répugnait plus qu’elle ne voulait le lui laisser deviner. Elle lui dit en silence la raison de sa visite, les cris d’alarme qu’elle avait perçus. Quelque chose allait de travers, un changement s’était produit, quelque chose qui n’était jamais arrivé auparavant ! Et elle lui parla aussi du jeune buveur de sang qui enregistrait des chansons en Amérique, des chansons véridiques sur la Mère et le Père, qu’il appelait par leurs noms. Elle lui ouvrait son esprit, tout simplement.

Elle observa Azim, consciente de l’immense pouvoir qu’il avait de lire ses pensées tout en ne laissant percer aucun de ses propres secrets.

— Chère Pandora, dit-il avec dédain, qu’ai-je à faire de nos précieux ancêtres ? Ils ne me sont rien. Et que m’importe ton irremplaçable Marius et ses cris incessants ? Rien de tout cela ne me concerne !

Elle demeura interdite. Marius qui appelait à l’aide ! Azim éclata de rire.

— Explique-toi, l’implora-t-elle.

Il rit encore et lui tourna le dos. Elle ne pouvait rien faire d’autre qu’attendre. Marius, son initiateur. La terre entière résonnait peut-être de la voix de Marius, mais elle était incapable de l’entendre. Était-ce un écho qui lui était parvenu, un faible écho du cri formidable que les autres avaient capté ? Dis-moi ce que tu sais, Azim. Pourquoi faire de moi ton ennemie ?

Quand cédant à sa prière, il lui fit face, son visage rebondi avait une expression songeuse, presque humaine, tandis qu’il pressait ses mains dodues l’une contre l’autre à hauteur de sa lèvre humide. Il voulait quelque chose d’elle. Il n’y avait plus trace de dédain, ni de malveillance en lui.

— C’est un avertissement, dit-il. Il provient de très loin, par vagues régulières, propagé par la chaîne de ceux qui le comprennent : un danger nous menace. Il est suivi d’un appel au secours, plus faible : aidez-moi afin que j’essaye d’écarter ce danger. Mais ce message manque de conviction. C’est à l’avertissement que Marius désire pardessus tout que nous prêtions attention.

— Les mots ? Quels sont les mots exacts ?

Il haussa les épaules.

— Je ne les écoute pas. Ça ne m’intéresse pas.

— Ah bon ! Très bien !

Elle lui tourna le dos à son tour et l’entendit qui s’approchait, puis sentit ses mains sur ses épaules.

— Réponds à ma question toi aussi, dit-il en l’obligeant à le regarder. C’est le rêve au sujet des jumelles qui m’inquiète. Que signifie-t-il ?

Le rêve des jumelles ? Elle ne savait que répondre. La question était bizarre. Elle avait fait tant de rêves.

Il la dévisageait sans un mot, comme s’il la soupçonnait de mentir. Puis il se mit à parler, très lentement, guettant chacune de ses réactions.

— Deux femmes, rousses. Des événements terribles leur arrivent. Elles m’apparaissent juste avant que je n’ouvre les yeux. Je les vois se faire violer devant une foule assemblée. Et je ne sais ni qui elles sont, ni où et quand cet acte se déroule. Mais je ne suis pas le seul à m’interroger. Disséminés dans le monde entier, d’autres dieux des ténèbres font ces mêmes rêves.

Dieux des ténèbres ! Nous sommes loin d’être des dieux, pensa-t-elle, méprisante.

Il lui sourit. Ce lieu n’était-il pas son temple ? N’entendait-elle pas les lamentations des fidèles ? Ne sentait-elle pas l’odeur de leur sang ?

— Je ne sais rien de ces deux femmes, dit-elle.

Des jumelles rousses... Non, vraiment. Elle effleura ses doigts d’un geste presque enjôleur.

— Azim, ne me tourmente plus. Dis-moi ce que tu sais sur Marius. D’où son appel vient-il ?

Comme elle le haïssait en cet instant de s’entêter à lui dissimuler ce secret.

— D’où ? fit-il d’un ton provocant. Ah, c’est bien là le problème ! Te figures-tu qu’il oserait nous conduire au mausolée de nos ancêtres ? Si j’en étais convaincu, je lui répondrais tout de suite. J’abandonnerais mon temple pour partir à sa recherche, tu peux en être sûre. Mais aucun de nous n’est dupe. Il se détruirait plutôt que de révéler où se trouve ce sanctuaire.

— Mais d’où appelle-t-il ? répéta-t-elle, patiente.

— Ces rêves, insista-t-il à son tour, le visage assombri par la colère. Les rêves des jumelles, je veux qu’on me les explique.

— Je le ferais si je le pouvais.

Elle songea aux paroles des chansons de Lestat. Les chansons sur Ceux Qu’il Faut Garder et sur les cryptes creusées au cœur des cités d’Europe, les chansons de quête et de malheur. Mais de femmes rousses, il n’en était jamais question...

Furieux, il l’interrompit dans sa réflexion.

— Lestat le vampire, ricana-t-il. Ne me parle pas de cet être infâme. Comment se peut-il qu’il n’ait pas encore été éliminé ? Que font les dieux des ténèbres ? Dorment-ils comme la Mère et le Père ?

Il la scruta, l’air soupçonneux, tandis qu’elle gardait le silence.

— Bon, je te crois, conclut-il. Tu m’as vraiment dit tout ce que tu savais.

— Oui.

— Je reste sourd aux cris de Marius, je te l’ai dit. Ce voleur d’ancêtres peut bien m’appeler au secours jusqu’à la fin des temps. Mais pour toi, Pandora, que j’aime plus que jamais, je condescends à me mêler de cette affaire. Traverse l’océan jusqu’au Nouveau Monde. Dirige-toi vers le Grand Nord glacé au-delà des terres où poussent les forêts, près de la mer de l’Ouest. Là tu découvriras peut-être Marius, emprisonné dans une citadelle de glace. Il crie qu’il ne peut bouger. Quant à sa mise en garde, elle est aussi vague que persistante. Un danger nous menace. Nous devons l’aider afin qu’il écarte ce péril. Qu’il puisse se rendre auprès de Lestat.

— Ah, c’est donc ce jeune fou qui est la cause de tout !

Un frisson la traversa, violent, douloureux. Elle vit en esprit les faces impénétrables et immobiles de la Mère et du Père, monstres indestructibles aux formes humaines. Déconcertée, elle considéra Azim. Il s’était tu un instant. Elle attendit qu’il reprenne.

— Non, dit-il enfin, la voix soudain plus basse, tout accent de colère évanoui. Nous courons un danger, Pandora, un grand danger, et nous n’avions pas besoin de Marius pour nous l’annoncer. Ce péril a un rapport avec les jumelles rousses (il paraissait étonnamment sérieux, moins sur ses gardes), de cela je suis sûr, car j’étais déjà vieux lorsque Marius a été métamorphosé. Les jumelles, Pandora. Oublie Marius et écoute plutôt tes rêves.

Elle le contempla, interloquée. Il la fixa un long moment, puis ses yeux semblèrent se rétrécir, comme se solidifier. Elle pouvait le sentir qui s’isolait en lui-même, oubliant les paroles qu’ils avaient échangées. Bientôt, il n’eut même plus conscience de sa présence.

Il écoutait les lamentations pressantes de ses adorateurs et la soif le tenaillait de nouveau ; il voulait des hymnes et du sang. Il fit demi-tour, mais avant de quitter l’antichambre, il lui jeta un dernier regard.

— Viens avec moi, Pandora ! Une heure seulement !

Sa voix était avinée, grasseyante.

L’invitation la prit au dépourvu. Elle hésita. Il y avait des années qu’elle n’avait goûté à ce plaisir sublime. Elle ne pensait pas uniquement au sang, mais à cette union éphémère et parfaite avec un autre être. Et soudain cette volupté était là, à sa portée, avec ces milliers de pèlerins qui avaient escaladé la chaîne de montagnes la plus inaccessible de la terre à la recherche de cette mort. Elle songeait aussi à la quête qu’il lui fallait entreprendre – retrouver Marius – et à tous les sacrifices qu’elle lui coûterait.

— Viens, mon aimée.

Elle accepta la main tendue et se laissa guider hors de la pièce jusqu’au centre du sanctuaire. L’intensité de la lumière la surprit. Oui, encore du sang. L’odeur des humains la pénétra, torturante.

Les cris des fidèles étaient assourdissants. Le battement de leurs pieds semblait ébranler les murs décorés de fresques et le plafond scintillant d’or. L’encens irritait ses yeux. Des souvenirs depuis longtemps enfouis du mausolée, de Marius l’étreignant, l’envahirent. Azim la débarrassa de sa lourde cape, découvrant son visage, ses bras nus, la simple tunique de laine noire qu’elle portait et la longue chevelure brune qui couvrait ses épaules. Elle vit son image se refléter dans un millier de prunelles humaines.

— La déesse Pandora, annonça-t-il en renversant la tête en arrière.

Des hurlements couvrirent les roulements rapides des tambours. D’innombrables mains mortelles l’effleurèrent. « Pandora, Pandora, Pandora ! » Les incantations mêlaient maintenant son nom à celui d’Azim.

Un jeune homme à la peau brune dansait devant elle, sa chemise de soie blanche collée par la sueur à son torse sombre. Sous ses noirs sourcils, une lueur de défi brillait dans ses yeux d’encre. Je suis votre victime ! Déesse ! Tout à coup, dans la lumière vacillante et le bruit qui la submergeaient, elle ne vit plus que les yeux, le visage du garçon. Elle le saisit, broyant ses côtes dans sa hâte, ses dents s’enfonçant profondément dans son cou. Vivant. Le sang se répandit dans ses veines, irrigua son cœur, puis diffusa sa chaleur dans ses membres glacés. Elle avait oublié la radieuse sensation – l’exquise volupté, le désir insatiable. La mort la laissa foudroyée, haletante. Elle la sentit qui envahissait son cerveau. Aveuglée, elle gémit. Puis, soudainement, sa vue devint si pénétrante qu’elle en fut pétrifiée. Les colonnes de marbre vivaient et respiraient. Elle abandonna le corps sans vie et s’empara d’un autre jeune homme, poitrine nue, défaillant de faim, mais dont la force aux portes de la mort lui fit perdre la tête.

Elle brisa sa nuque délicate et elle but, tandis que son cœur se dilatait, que sa peau s’imprégnait de sang. Juste avant de fermer les yeux, elle vit ses mains se colorer. Oui, des mains humaines. Et la mort plus lente à venir cette fois, plus rebelle, puis cédant soudain dans une explosion de lumières et de rugissements.

« Pandora ! Pandora ! Pandora ! »

Dieu, n’y a-t-il ni justice ni fin ?

Elle oscillait d’avant en arrière. Les visages cuivrés, chacun bien distinct, tourbillonnaient devant elle. Le sang bouillonnait dans ses veines comme s’il cherchait à s’infiltrer dans chacune des cellules de son corps. Sa troisième victime se rua sur elle. Ses jeunes membres graciles, ses cheveux si doux, ce duvet sur ses bras, ses os fragiles ; il était si léger, comme désincarné. Elle eut soudain l’impression que c’était elle qui existait réellement.

Elle arracha à moitié la tête et fixa un instant la colonne vertébrale brisée, puis aspira la mort d’un trait quand le sang gicla de l’artère béante. Mais le cœur, le cœur qui battait, elle voulait le voir, le goûter. Elle renversa le corps sur son bras droit et, de sa main gauche, elle fendit le sternum, ouvrit la cage thoracique, puis fouilla dans la cavité chaude pour en retirer le cœur.

Le cœur qui n’avait pas encore cessé de battre, pas complètement. Il était luisant telle une grappe de raisin humide. Les fidèles s’écrasaient maintenant autour d’elle tandis qu’elle brandissait son trophée au-dessus de sa tête, en le pressant doucement afin que le jus de la vie coule entre ses doigts et jusque dans sa bouche. Oui, volupté suprême, puisse-t-elle durer toujours.

« Déesse ! Déesse ! »

Azim l’observait en souriant. Mais elle ne le voyait pas. Elle regardait le cœur qui se flétrissait comme elle en extrayait les dernières gouttes de sang. Quand elle lâcha la pulpe exsangue, ses mains rougies rayonnaient de l’éclat de la vie. Elle sentait sur sa peau le picotement de la chaleur. Une vague de souvenirs déferla, une vague d’images incompréhensibles. Elle les repoussa. Cette fois elle ne se laisserait pas asservir par sa mémoire.

Elle prit sa cape et s’en enveloppa. Elle éprouva une sensation de bien-être, tandis que des mains tièdes et attentives rabattaient le tissu de laine douce sur ses cheveux et sur le bas de son visage. Ignorant les voix ardentes qui scandaient son nom, elle se retourna et sortit, heurtant et blessant sans le vouloir les fidèles fanatisés qui se jetaient sur son passage.

Dehors, l’air lui parut délicieusement frais. Elle releva la tête pour respirer le vent des cimes qui soufflait par rafales dans la cour où il attisait les bûchers avant d’entraîner au loin leur fumée âcre. Le clair de lune illuminait les pics enneigés au-delà des murs d’enceinte.

Elle resta immobile à écouter le sang circuler dans ses veines et s’étonna, presque avec désespoir, qu’il puisse encore la vivifier. Accablée de tristesse, elle considéra l’austère et grandiose paysage qui encerclait le temple, les nuages qui couraient dans le ciel. Comme le sang lui donnait du courage. Elle avait le sentiment passager que tout dans l’univers était à sa place – fût-ce au prix d’un acte abominable, impardonnable.

Ce que la raison ne peut expliquer, nos sens en ont le pouvoir. Laissons-les donc parler aux misérables que nous sommes.

Elle s’approcha d’un bûcher et, avec précaution, elle tendit ses mains au feu pour qu’il les purifie, qu’il brûle le sang, les lambeaux de cœur. La chaleur des flammes n’était rien comparée à celle du sang en elle. Quand enfin elle ressentit une vague douleur, elle recula et examina ses paumes immaculées.

Elle devait quitter cet endroit maintenant. Marius avait besoin d’elle. Danger. L’appel résonna en elle, plus fort qu’auparavant parce que le sang la rendait plus réceptive. Et il ne semblait pas émaner d’une seule personne. C’était plutôt comme la voix d’un immense chœur, l’écho assourdi d’un savoir commun. Elle avait peur.

Les yeux embués de larmes, elle fit le vide dans son esprit. Elle leva ses mains, juste ses mains, délicatement. Et l’ascension commença. Silencieuse, rapide, invisible comme le vent.

Haut dans le ciel, au-dessus du temple, son corps traversa un tourbillon de brume. L’intensité de la lumière la stupéfia. Partout une blancheur éclatante. Et au-dessous, les crêtes dentelées et les glaciers miroitants qui descendaient vers l’ombre douce des forêts et des vallées. Nichés çà et là, des bouquets de lumières scintillantes dessinaient le tracé des villages et des villes. Elle ne se lassait pas de contempler ce spectacle. Mais, en quelques secondes, un amoncellement de nuages floconneux l’obscurcit. Elle était seule parmi les étoiles.

Les étoiles – dures, clignotantes, qui semblaient l’entourer comme si elle était des leurs. Mais les étoiles n’avaient besoin de rien ni de personne, en vérité. Elle fut saisie de terreur. Puis d’un chagrin profond, pas si différent du bonheur en fait. Plus de luttes, plus de tourments.

Embrassant du regard la multitude des constellations, elle ralentit son ascension et tendit les deux mains vers l’ouest.

Le lever du jour était encore à neuf heures derrière elle. Ainsi, fuyant le soleil, commença son voyage avec la nuit, vers l’autre côté du globe.

 

La Reine des Damnés
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